Un jour, prendre la mer…
Article mis en ligne le 17 juin 2009
dernière modification le 10 juin 2009

Un jour, prendre la mer…
- À propos de l’émigration

Mai 2009

« Ils t’ont fait espérer, donné une chance à ta famille
t’ont promis des papiers, assurer une vie qui brille
en occident rien ne coule, mais que des navires qui dérivent
et pour cette vie meilleure tu as choisi leurs directives... »

( chanson de Dub Incorporation : Galéré )

Introduction

La « semaine Sénégal » organisée à l’école a suscité chez moi différentes questions à propos de l’émigration. Pourquoi veulent-ils quitter leur pays, comment arrivent-ils ici ? Comment se passe leur arrivée en Belgique, comment s’intègrent-ils, comment cela se passe en pratique,… ?

Que de questions…

Pour tenter d’y répondre ou, simplement, pour mieux comprendre, j’ai lu quelques textes et surtout j’ai rencontré Ibou, Sénégalais vivant en Belgique. Une rencontre forte qui m’a éclairée. Je vais commencer par son témoignage avant de proposer quelques réflexions plus théoriques.
J’ai rencontré Ibou Niang, un Sénégalais qui a quitté son pays pour venir étudier ici, il y a une vingtaine d’années. Il habitait à Dakar près de l’aéroport. Au Sénégal il étudiait, il avait le bac +2. Il s’occupait aussi d’un mouvement de jeunesse dont le but était d’organiser des vacances pour les jeunes, afin qu’ils ne restent pas seuls, dans la rue, pendant toutes les vacances. Le mouvement a commencé dans son quartier et maintenant ce mouvement s’étend sur tout le pays.
Ibou est venu en Belgique pour faire des études. Il s’est présenté à l’ULB, mais y a été refusé : les diplômes Sénégalais ne sont pas équivalents aux diplômes belges et donc, ne sont pas reconnus. Alors, Ibou a refait des études dans l’école de marketing de Brouckère en comptabilité en sciences économiques et en marketing.
Après ses études, il a travaillé à la Vénerie et ensuite à la mission locale d’Ixelles.

Nous avons aussi parlé de ce qu’il avait ressenti en arrivant ici en Belgique, ce qui l’a surpris. En arrivant ici il a fort apprécié l’ouverture des belges mais a été surpris car il ne savait pas que l’on parlait aussi le néerlandais.

Il a choisi de venir en Belgique pour la langue d’une part mais aussi parce que la Belgique a énormément fait au niveau de la santé au Sénégal. La Belgique a créé un hôpital à Dakar : l’Hôpital Baudouin.
Mais les choses ne sont pas si faciles : « Le plus difficile, ici, c’est le racisme passif. On t’accepte mais, en réalité, on fait semblant de t’accepter. » Ce sont les mots d’Ibou. Ils m’ont touchée et je peux comprendre que ces paroles sont vraies. Aussi Ibou expliquait que : « si on avait besoin d’un parton ou d’un chef d’entreprise pour trouver du travail, un noir aura beaucoup moins de chance d’avoir le poste même s’il a un meilleur cv qu’un blanc. Au blanc on donnera une chance, au noir on ne donnera rien malgré son C.V ! »

La religion : Ibou est musulman dans un pays de culture catholique et ce n’est pas toujours facile pour lui et pour ses filles qui sont pris entre deux cultures différentes. Et Ibou m’explique « je ne comprends pas pourquoi je dois toujours me justifier sur le fait que je ne mange pas de porc. On me pose toujours des questions alors que celui qui ne mange pas de courgette pourra se contenter de dire qu’il n’aime pas pour être dispensé d’autres questions. »

Ibou m’a aussi parlé de la situation de ses filles : « A l’école, dit-il, la culture européenne, et Belge en particulier sont dominantes. A la maison, c’est la culture Sénégalaise qui est mise en avant. Que doivent-elles faire lorsque ces deux cultures ne vont pas dans le même sens. Ainsi, par exemple, la culture Sénégalaise prévoit des habillements particuliers pour certaines occasions (par exemple pour des fêtes religieuses musulmanes), mais cet habillement ne « passerait » pas dans le cadre scolaire. A quelle culture doivent-elles répondre ? »

Je lui ai aussi demandé : « Et si c’était à refaire, le referiez vous ? »
Sa réponse m’a quelque peu surprise car il m’a dit que s’il avait pensé à ses filles, il ne serait pas venu ici car ses filles se posent beaucoup de questions sur les deux cultures et sont à certains moments perdues.
On a aussi discuté des politiques de l’immigration. De son point de vue, l’Europe veut toujours faire des politique européennes en la matière alors que l’immigration n’est pas la même dans tous les pays et que donc chaque pays devrait avoir sa loi et sa propre politique.

Ibou m’a aussi fait part d’une solution pour diminuer l’émigration : dans nos pays européens, on a besoin, à certaines saisons, de beaucoup de main d’œuvre, par exemple, en France, pour cueillir le raisin, en Espagne, pour les tomates, etc. Sa solution est d’amener la main d’œuvre d’Afrique pour le temps de la saison, de la payer au salaire minimum que l’on peut avoir et après ils retournent dans leur pays avec tout l’argent qu’ils ont gagné et avec cet argent ils ont de quoi vivre le reste de l’année dans leur pays. Je me pose néanmoins la question de savoir si la tentation ne serait pas grande, pour ces personnes, de rester en Europe.

J’ai parlé du spectacle qu’on a vu avec l’école à propos des voyages en pirogue. Alors, Ibou m’a raconté l’origine de ces voyages : « Tout a commencé en 2006-2007. Les européens et les japonais venaient pécher dans les mers sénégalaises. A cause de cela, les Sénégalais devaient aller pécher plus loin dans la mer. Une des pirogues s’est égarée et est arrivée aux îles espagnoles. Là, on les a accueillis à la Croix Rouge pour les soigner et ensuite on leur a dit qu’ils pouvaient aller dans la ville se trouver un travail et rester là. Ils ont appelé leur famille pour leur dire ce qu’ils vivaient. Plusieurs bateaux sont partis, ont encore été bien accueillis mais plus tard l’Espagne a réglementé et maintenant ils arrivent clandestinement. »

Nous avons aussi parlé des causes premières de l’émigration :
Politique : « c’est pour une grande majorité de l’Afrique ! Les gens se retrouvent entre les armes et sans comprendre pourquoi il y a la guerre. Alors pour eux la seule façon d’avoir la paix, c’est de partir de leur pays. » Au Sénégal le climat politique est stable donc les Sénégalais ne peuvent pas dire que se sont des réfugiés politiques.

Mes lectures font apparaître que les guerres entre pays ou un sein même d’un pays sont les causes principales des départs. Les arrestations arbitraires sont fréquentes. Si on pense différemment que le président, que le roi ou que la religion, on est arrêté comme par exemple ce jeune homme de 17 ans qui a été arrêté car il manifestait contre le régime politique d’Iran. Il devait rester en prison 1 an, mais il y est resté 7 ans et pour finir, il a été exécuté. Sa mère nous raconte que seuls ceux qui manifestaient pour le régime, pour la religion et qui suivaient bien les règles du pays, pouvaient avoir un travail, faire des étudies mais les autres qui pensent différemment, qui se révoltent, n’ont droit à rien. Elle a quitté l’Iran pour la Belgique après avoir appris l’exécution de son fils. Même sans travail, même avec les difficultés, elle préfère être ici que là-bas sans liberté religieuse et politique.

Il y aussi la cause économique qui est la deuxième des causes principales :

Au cours de mon entretien avec Ibou, celui-ci m’a indiqué que la différence de niveau économique est telle que la tentation pour les habitants des pays pauvres de venir en Europe est grande. Ibou m’a dit que « 50 euros, ici, en Europe, ne représente pas une grande somme d’argent, mais 50 euros en Afrique, par exemple au Sénégal, représentent beaucoup d’argent ». Mon oncle qui habite au Sénégal m’a écrit qu’un bon salaire, à Dakar, c’est l’équivalent de 150 euros pour un mois de travail… Alors quand on sait qu’en Belgique, sur un mois, on peut gagner dix fois plus…. Cela devient tentant et on en oublie qu’ici tout coûte bien sûr plus cher qu’au Sénégal.

Dans les pays pauvres, les riches sont très très riches et les pauvres sont très très pauvres. Cette fois encore, alors, la tentation, pour les plus pauvres de tenter leur chance ailleurs, pour espérer devenir à leur tour… très très riches !

La pression démographique :

L’amélioration des conditions d’hygiène, de santé et l’amélioration des moyens d’existence font chuter le taux de mortalité. Le taux de natalité reste encore élevé et ne s’ajustera que plus tard. Pour nos pays, il a fallu 200 ans pour que la situation se stabilise, que la pression démographique diminue. Pour les pays en développement, ils doivent amortir cette croissance en moins de 70 ans. En Afrique, plus de 50% de la population a moins de 30 ans. De ce fait, les possibilités économiques sont faibles et quasi inexistantes et le chômage est permanent

Les conditions environnementales sont de plus en plus importantes car il y a de plus en plus de sècheresse, l’eau devient une des causes premières des guerres. Mais trop d’eau peu aussi être un facteur de migration comme par exemple en Chine où des milliers de personnes sont parties de chez eux à cause des nombreuse inondations.
Malheureusement le gouvernement préfère mettre de l’argent dans la guerre l’achat d’armes que de mettre de l’argent pour résoudre les problèmes environnementaux.

Conclusion

« De désespoir en désespoir, on finit par affronter la mer. »
- Ibou Niang

Pour faire ce travail je me suis basée sur quelques textes, j’ai été attentive aux rencontres organisées par l’école et j’ai été à la recherche d’un témoignage. Cette façon de faire, cette approche multiple m’a donné une image plus concrète de l’émigration.
L’émigration, ce n’est pas de la théorie mais c’est l’histoire d’hommes et de femmes, d’enfants aussi, qui un jour fuient leur pays, quittent leur famille, leur culture, pour débarquer dans un autre monde qu’ils croient meilleur.

Et alors …
- C’est entamer le voyage…
- C’est le risque de mourir …
- C’est le choc des cultures …
- C’est les diplômes qui n’ont pas la même valeur …
- C’est le risque de ne pas se faire accepter …
- C’est la différence de couleur de peau …
- C’est la force de l’espoir face aux désespoirs …
- Et … c’est un jour, prendre la mer !

Remerciements

Je remercie tout particulièrement monsieur Ibou Niang qui a bien voulu consacrer du temps pour répondre à mes questions et ainsi me permettre de mieux approcher la réalité de son trajet d’émigration.
J’ai beaucoup apprécié la démarche de l’école sur le thème de l’émigration. Cela a été l’occasion, pour moi, de rencontres rares et enrichissantes.

Merci aussi à Mme Bockourt de m’avoir laissé l’occasion, dans la réalisation de ce travail, de procéder à l’entretien d’un témoin de l’émigration !

Je remercie aussi mon père qui m’a soutenu dans ce travail.

Bibliographie

Conception et réalisation Patrick Dezille, Un jour, il faudra que je leur dise, juin 2000

Marie-Claire Blaimont, Anne Guyaux, Récits d’exil,édition CIRE, centre d’Initiation pour Réfugiés et Etrangers, asbl, 1995